Ce n’est pas un livre de souvenirs, pas un livre d’entretiens mais de petites histoires sur sa vie, des moments qui l’ont marqué. Jean Rochefort est un acteur pas vraiment conventionnel. Son écriture dans Ce genre de choses (*) ne l’est pas moins…
Jean Rochefort aime l’art équestre – son grand-père était éleveur de chevaux- est passionné par les primates, et promène depuis quelques décennies sa décontraction apparente et son humour décalé dans bien des films et sur des scènes de théâtre. A 80 ans passés –il est né en avril 1930 à Dinan- Jean Rochefort a pris son temps pour se raconter. Mais son premier livre, Ce genre de choses n’est pas vraiment là pour éclaire son parcours, plutôt pour raconter des petits riens de la vie qui en disent parfois longs sur une personnalité.
Dans ce pêle mêle, ce joyeux foutoir littéraire dans lequel tout n’est pas obligatoirement passionnant, il y a la griffe d’un homme qui pratique l’autodérision comme art de vivre et de se souvenir. Au fil des pages, on croise Delphine Seyrig -pour des souvenirs très émouvants- Harold Pinter, Jean Vilar, Marcello Mastroianni ou encore Sean Connery. A chaque fois, Jean Rochefort romancier regarde ce qui lui arrive comme s’il était spectateur de sa propre vie. Et sans jamais faire appel à un nègre pour l’aider à accoucher. Il dit : « Je vivais dans une insatisfaction permanente de relecture le matin de ce qui m’avait enthousiasmé la veille, ce qui me désespérait et me mettait dans un état dépressif fort. J’ai eu des moments de découragement. Je suis pathologiquement organisé comme cela ; j’ai toujours vécu dans le doute, dans le manque de confiance en moi. Aborder une nouvelle activité à 83 ans, c’est l’arthrose qui se réveille, le corps gueule et dit mais tu es fou, à quoi tu joues là ! »
Passant d’une page à l’autre du rire au larmes, il revient sur des épisodes qui l’ont marqué, notamment à des moments de barbarie auquel, jeune, il assista comme la liquidation de collaborateurs transfromés en bonhommes Michelin. Il n’hésite pas, même , à se montrer sous un jour pas vraiment glorieux. Ainsi quand il raconte comment en sixième à Vichy, en 1942, il a lancé à un copain juif, suite à une dispute pour un stylo : « Sale Juif ! ». Et de poursuivre, avec une franchise qui force le respect : « Le lendemain, à la sortie, une petite femme me fixe longuement, je baisse les yeux sans savoir pourquoi. Elle approche, me colle une baffe, c’était sa mère, je n’oubliera jamais. Merci. » A méditer longuement à une époque où le glauque reprend parfois le dessus.
Parfois, le ton est nettement plus insolite. Ainsi quand l’artiste narre la rencontre de Rufus à Neauphle-le-Château avec un voisin en apparence discret, auquel il offre une rose de son jardin en signe de bon voisinage est tout à faire surréaliste, et pour cause : il s’agit d’un certain ayatollah Khomeini. Et Rochefort d’écrire : « Je me plais à imaginer l’ayatollah assis pieds nus, en tailleur, sur un petit tapis, genre Ali Baba et les quarante voleurs. Rufus, le collègue-ami, serait dans la
même position… Allure comme il sait l’être, Lawrence d’Arabie de la grande banlieue parisienne en visite chez un Persan. »
Ne pouvant passer sous silence ses copains de toujours -les Belmondo, Marielle et Noiret- Jean Rochefort revient sur des moments personnels, pas vraiment les plus spectaculaires mais qui jalonnent une vieille amitié. L’occasion pour conclure cette errance littéraire d’une formule : « On peut attendre soixante ans pour dire à son ami : « C’est grâce à toi que la vie dont je rêvais a commencé. Merci. » Un résumé de la vie selon Rochefort.
(*) Ed. Stock
