DEUX KIDS DANS L’ANGLETERRE EN CRISE

LE GEANT EGOÏSTE, de Clio Barnard – 1h31

Avec Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Gilder

Sortie : mercredi 18 décembre 2013

Je vote : sur 5

The Selfish Giant (photo agatha a. nitecka)  000025080021L’histoire ?

Arbor, 13 ans, et son meilleur ami Swifty habitent un quartier populaire de Bradford, au Nord de l’Angleterre. Renvoyés de l’école, les deux adolescents rencontrent Kitten, un ferrailleur du coin. Ils commencent à travailler pour lui, collectant toutes sortes de métaux usagés. Kitten organise de temps à autre des courses de chevaux clandestines. Swifty éprouve une  tendresse pour les chevaux et a un don pour les diriger, ce qui n’échappe pas au ferrailleur. En guerre contre la terre entière, Arbor se dispute les faveurs de Kitten, en lui rapportant toujours plus de métaux, au risque de se mettre en danger…

Pourquoi ce film est si touchant ?

Dans ce paysage anglais désindustrialisé où la nature reprend peu à peu ses droits, Clio Barnard signe un premier film pas vraiment banal après avoir fait parler d’elle avec le documentaire expérimental, The Arbor. Transposant ici un conte de l’ère victorienne d’Oscal Wilde, elle a planté sa caméra dans un cadre qu’elle connait bien pour y avoir vécu dix-neuf ans : Bradfort. Elle souligne : « J’ai été témoin de l’exclusion d’enfants des parcs des logements sociaux… des marginaux aux sein de communautés marginalisées, sans avenir, relégués à la lisière d’une économie décimée et désindustrialisée. » Sa grande réussite, c’est d’avoir alors signer un récit contemporain, une plongée sociale en partant de cette fable. Sans grandes déclarations, elle se glisse dans cette réalité sombre en immergeant le spectateur à son côté et décrit un monde presque irréel. Propos : « On voit des centrales électriques hors d’usage perdues dans le brouillard, par-delà champs et moutons. Mes deux protagonistes survivent d’une manière qui préfigure peut-être leur avenir et celui de leur génération, dans un monde dépourvu d’emplois, où les ressources se raréfient. L’ironie du sort est que les ferrailleurs contribuent à démanteler des éléments de l’infrastructure moderne de leur propre pays, comme les câbles en cuivre des voies ferrées, afin de nourrir la croissance des pays en voie de développement, en particulier la Chine. »

The Selfish Giant (photo agatha a. nitecka)  000025130010

Et puis, s’inspirant d’une coutume, elle glisse au fil du récit la séquence absolument irréelle de la course de chevaux sur l’autoroute avec les parieurs qui suivent en voiture, hurlent, se passionnent. Elle souligne : « Les courses sur route existent depuis des siècles. C’est une tradition gitane et il y a beaucoup de gens du voyage sédentarisés à Bradford, notamment dans le quartier populaire de Holmewood. Cette coutume s’est étendue et attire désormais un public plus large. Comme dans le film, ces courses se passent à l’aube, en l’hiver, sur l’autoroute, avec des voitures qui bloquent tout le trafic en roulant derrière les chevaux de course.  »

La force de cette histoire repose sur un casting impeccable. Les deux gamins font preuve d’une maturité de jeu incroyable. Epais comme un fil de fer,  Conner Chapman parvient à exprimer aussi bien l’insouciance de l’adolescence que la gravité du jeune adulte qui multiplie les combines pour survivre. Face à cet enfant sauvage,   Shaun Thomas, tout en rondeur, exprime toute la solitude de l’ado qui découvre un sens à la vie quand il parvient à s’occuper d’un cheval avec lequel il a une étonnante relations.  Face à eux,  Sean Gilder -connu pour camper Paddy Maguire dans la série Shameless– est parfait dans le rôle du ferrailleur qui fait tourner son entreprise en exploitant plus misérable que lui même si, au final, il laisse apparaître une vraie humanité.

Il y a du Ken Loach dans la manière d’appréhender une société qui se délite et cette histoire, qui ne peut qu’être sombre, est d’une grande force et d’une grande finesse.

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