ROCK THE CASBAH, de Laïla Marrakchi – 1h40
avec Morjana Alaoui, Nadine Labaki, Lubna Azabal et Hiam Abbass
Sortie : mercredi 11 septembre 2013
Mon avis : 4 sur 5
C’est l’été à Tanger. Une famille se réunit sur trois jours dans la maison familiale suite au décès du père, pour se remémorer les souvenirs et partager sa perte, comme le veut la tradition musulmane. L’agitation est à son comble d’autant plus que cet homme n’a laissé derrière lui que des femmes. Tout va basculer avec l’arrivée de Sofia, la dernière des filles, celle qui a fait sa vie ailleurs. Actrice n’interprétant que des rôles de terroristes dans des séries américaines, elle arrive de New York après plusieurs années d’absence. Son retour va être le moyen de régler ses comptes avec ses soeurs et bouleverser l’ordre établi depuis toujours par ce patriarche.
Et alors?
Il y a du conte oriental dans ce récit pourtant résolument ancré dans la modernité et la vie de cette riche famille bourgeoisie marocain qui, le temps d’un deuil, va vivre des journées déterminantes. Un deuil qui agit comme un révélateur sur les névroses de ce clan et fait exploser toutes les certitudes. Laïla Marrakchi a eu l’intelligence de tempérer la dureté des propos par un ton où l’humour adoucit les séquences les plus dures, ainsi quand les trois sœurs, prises d’un irrépressible fou-rire font voler en éclat la solennité des prières. Ou encore quand la famille visionne le film où la cadette campe une caricature de terroriste comme les aime le cinéma à Hollywood. La cinéaste souligne : Il me semblait que c’était le meilleure voie pour observer cette famille qui a, en apparence, tout d’un cocon. D’un
lieu idéal. Mais dans lequel il existe une vraie violence des rapports. »
Pour autant, elle montre les blessures subies par les membres de ce clan et qui laissent éclater leurs colères, malgré une mère qui fait tout pour conserver les apparences. La force du propos tient alors dans l’impeccable jeu des comédiennes dont les répliques fusent avec force et justesse. Parfaite dans le rôle de la mère, Hima Abbass souligne : « Au fil de nos échanges avec Laïla, j’ai vu la possibilité d’explorer des zones que je n’avais jamais encore abordées – je n’avais encore jamais joué de femme appartenant à la classe de la bourgeoisie, sa complicité et la distance qu’elle a parfois avec ses filles m’intéressaient. Et l’amour qu’elle a pour son mai, un amour qu’elle partage avec la bonne, était une dimension nouvelle pour moi, à des années lumière de la femme que je suis. »
Campant ses trois filles, Nadine Labaki, Lubna Azabal et Morjana Alaoui jouent, chacune, un registre personnel et très juste. En professeur sérieuse qui a fait le deuil de ses rêves de jeunesse, Lubna Azabal surprend dans un rôle inhabituel pour elle. Elle souligne : « C’est un personnage à la Woody Allen. Quand nous nous sommes rencontrés, Laïla et moi, nous nous sommes tout de suite mises d’accord pour donner à Kenze une dimension qui soit à la fois drôle et touchante; ne surtout pas tomber dans le fade ou le pastel. » Quant à Nadine Labaki, elle s’en donne à cœur joie dans le personnage de Miriam, une bimbo qui ne rêve que de chirurgie esthétique mais peut, soudain, devenir plus grave et profonde. « Ces femmes m’intéressent, dit-elle. J’ai envie de comprendre. Je ne crois pas qu’elles soient seulement superficielles. Dans leurs comportements, un peu extrême et parfois risibles, se cachent beaucoup de blessures et d’angoisses. Je les aimes ces femmes et compatis à leur sort. »
Un film choral de forme qui fait passer bien des émotions et des idées. Certes, si les hommes n’y ont pas le beau rôle, loin de là, sauf Zakaria, une des clés du récit, un révolté, il y a quand même une tendresse pour leur lâcheté. Et le personnage du père, qui surgit comme un fantôme, est servi par l ‘élégance naturelle d’Omar Sharif qui, d’un sourire, peut éclairer et adoucir les pires actions.
Baigné par la belle lumière de Tanger, cette histoire de deuil et de famille est profonde sous des airs de conte oriental, léger et presque en apesanteur.

