PHOTO, de Carlos Saboga -1h16
Avec Anna Mouglalis, Simão Cayatte, Johan Leysen, Didier Sandre, Marisa Paredes
Sortie : mercredi 10 avril 2013
Je vote : 4 sur 5
Sa mère vient de mourir. Son père n’est pas celui qu’elle croyait. Prise entre un passé incertain qu’elle ne connaît qu’à travers les photos laissées par sa mère et la perspective d’un mariage qu’elle ne désire pas réellement, Elisa se lance à la recherche de la vérité. Sa quête d’un père supposé, qui est aussi une fuite en avant, la mène de Paris à Lisbonne, des fantômes de la contestation des années 70 à un présent hypothétique. Elle y croise bien des personnes mais connaîtra t-elle la vérité ?
Et alors ?
Scénariste pour de nombreux cinéastes portugais -Raùl Ruiz notamment ou Antonio-Pedro Vasconcelos- Carlos Saboga signe avec ce premier film une œuvre ambitieuse qui joue sur plusieurs registres. Quête d’une filiation, le voyage d’Elisa, profondément intime, est aussi l’occasion d’évoquer tout un contexte politique : en l’occurrence des règlements de compte entre militants d’extrême gauche sous la dictature de Salazar, les actes de la police politique sous la dictature. Même si le cinéaste s’est permis a fait une entorse à la réalité historique en s’inspirant d’un fait-divers bien réel des années 60 pour le replacer dix ans plus tard.
Carlos Saboga explique ainsi sa démarche : « Quoi qu’il en soit, ça ne m’intéressait pas de rester enfermé dans les limites du fait divers, ni de faire un « film d’époque ». Je voulais regarder cette histoire avec des yeux d’aujourd’hui, du point de vue de gens vivant maintenant, avec la distance que cela implique. Voilà ce qui m’a amené au personnage d’Elisa, qui est doublement étrangère à cette histoire parce que Française et appartenant à une autre génération. Elle découvrira par ailleurs qu’elle est également étrangère à sa propre histoire, à son histoire personnelle. Et c’est parce qu’elle entreprend de tirer au clair cette histoire personnelle, que nous découvrirons peu à peu, à travers ce regard étranger, ce qui s’est passé. » Au fil de ses errances, Alice découvre les sombres heures du passé au Portugal avec notamment la figure de cet ancien flic de la PIDE, cette police politique omniprésente, qui, tout en jouant les paisibles éleveurs de pigeons voyageurs, a du mal à masquer ses penchants politiques extrémistes.
Avec une mise en scène solide, qui évite l’usage banal du flash-back, et surprend par sa fluidité, malgré les différents niveaux du récit, Carlos Saboga signe un premier film très fort. Avec notamment un choix du cadre permanent -celui d’une fenêtre ouverte sur une baignoire comme celui d’un tableau- qui symbolise à maintes reprises l’univers de la photo dans lequel baigne toute l’histoire. Et structure un univers visuel d’une grande beauté.
Et puis, le film est porté par Anna Mouglalis de bout en bout qui parvient à exprimer tous les états émotionnels de cette jeune femme confrontée à un passé qui la dépasse. Parlant peu, jouant beaucoup sur les regards, la comédienne signe ici une de ses
interprétations les plus abouties. Il faut dire que Saboga a su bien l’entourer et, tous les comédiens qui apparaissent dans l’histoire confèrent à ce récit une grande force.
Que ce soit Johan Leysen, tout à fait surprenant père « choisi » qui se moque de la paternité officielle, que Didier Sandre, campant un homme rattrapé par son passé, sans oublier Simão Cayatte, d’un naturel qui emporte tout sur son passage.
Avec ce premier film -dense, émouvant, politique et beau- Carlos Saboga réussit haut la main son premier passage derrière la caméra.

