L’Angoissé qui grimaçait

n6dryq8uUN JOUR, UN DESTIN: LOUIS DE FUNÈS DERRIÈRE LE MASQUE

De Florence Troquereau

Diffusion : mardi 11 décembre 2012, 20h45 sur France 2

Mon avis : 3 sur 4

Un portrait soigné ouvre cette soirée spéciale sur le comique français le plus célèbre des années 70, avec, pour finir, un retour nostalgique du Petit baigneur, signé Claude Dhéry. Riche de nombreux témoignages, ce portrait est celui d’un artiste angoissé, timide et se livrant peu.

Avec le temps, la parole se délie et l’on perçoit mieux la vérité des êtres et des choses. La preuve avec ce portrait de Louis de Funès qui n’apparaît pas comme le plus sympathique des hommes, sinon des comédiens. Ayant conquis la célébrité sur le tard, on voit bien comme ce grand angoissé n’a eu de cesse ensuite que de rester en haut de l’affiche, sous le regard permanent de son épouse Jeanne qui veillait à ce que ses « beaux yeux bleu » soient mis en valeur. Quand un troisième infarctus emporte le comédien en janvier 1983, il est la star comique du cinéma français : après des débuts besogneux, il a conquis dans les années 60, ses galons de vedette du Corniaud à L’Aïle ou la Cuisse en passant par la série des Gendarmes. Comme le raconte très bien ce doc, le succès fut un long chemin de croix pour un homme dont le fils Patrick souligne : « Il avait peur de manquer de travail. » Aussi De Funès s’est toujours battu pour s’imposer. Sur le tournage du Corniaud, s’apercevant avec son épouse qu’il a moins de répliques que Bourvil, déjà une grande vedette, il se bat pour obtenir plus de visibilité, ce qui donnera lieu à l ‘étonnante séquence de la douche où il évolue au milieu de gaillards musclés et provoque le rire de ses mimiques.

Lançant sa carrière au théâtre avec Oscar, en 1960, l’homme a pris l’habitude de travailler minutieusement sa partition. Un de ses fils raconte comment à l’époque, il voyait son père se préparer en portant un pyjama à la maison. Son compère, Michel Galabru, souligne : « Il avait le trac, il avait peur. Il était timide. Il était très complexé. » On découvre aussi  comment, Louis_de_Funes-1e571même devenu une star, il continua à bosser, bosser. Ainsi dans Les Aventures de Rabbi Jacob, pour la fameuse séquence de danse, son chorégraphe, Ilan Zaoui, décrit la manière dont il répétait les pas des heures entières. Revenant sur cette histoire en forme de cri de tolérance, le comédien a eu l’honnêteté de reconnaître qu’il n’a pas toujours été à l’abri d’une certaine xénophobie. « Ça m’a décrassé l’âme » lança t-il lors d’une interview. Comme pour vaincre le trac, de Funès a toujours vécu à cent à l’heure, au risque de maltraiter son palpitant. Evoquant sa deuxième carrière, après le double infarctus, la comédienne Laurence Badie souligne :  » C’était une pile électrique et elle était déchargée. »

Côté privé, on mesure enfin à quel point l’homme est resté secret jusqu’à la fin de ses jours. Sa petite fille, Julia, évoque un grand-père attentionné qui enregistrait pour elle sur des cassettes des histoires. On découvre aussi l’histoire de son premier fils qu’il ne voyait pas après l’avoir croisé un soir après une représentation d’Oscar. Enfin est évoqué sa relation forte avec Macha Béranger, grande voix de la nuit sur France Inter, après une interview où le comédien se livra, sous le charme. Un artiste dont on mesure tout ce qu’il doit à sa mère dans une rare interview où il tomba le masque. « Une personne truculente, drôle, amusante. Je puisais tout le temps dans l’histoire de  ma mère. » Derrière les grimaces, un artiste infiniment plus complexe que son image publique.

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