MICHAEL LONSDALE, LE VIEIL HOMME ET LA MORALE

GEBO ET L’OMBRE, de Manoel de Oliveira – 1h31

Gebo (Michael Lonsdale)

Avec Michael Lonsdale, Claudia Cardinale, Jeanne Moreau, Leonor Silveira, Ricardo Trépa

Sortie : mercredi 26 septembre 2012

Mon avis : 4 sur 5

Quezako ?

Malgré l’âge, Gebo poursuit son activité de comptable pour nourrir sa famille. Il vit avec sa femme, Doroteia, et leur belle-fille, Sofia, mais c’est l’absence de leur fils, João, qui occupe tous les esprits. Gebo semble cacher quelque chose sur ce fils absent, en particulier à Doroteia, qui vit dans l’attente de le revoir. Sofia attend également le retour de son mari, tout en le redoutant. Quand João réapparaît, leur vie bascule..

GEBO ET L’OMBRE – Bande-annonce VF par CoteCine

2 raisons d’aller voir ce film ?

Doyen du cinéma, Manoel de Oliveira,  103 ans, signe ici une réflexion minimaliste, dans un univers fermé -celui d’une bicoque bouffée par l’humidité au cœur d’une ville- sur l’honnêteté et le prix de la liberté. Gébo incarne ce père qui veut rester dans le droit chemin quitte à en payer le prix fort quand son fils symbolise une forme de révolté, de désir de changer de destin. C’est aussi un travail sur l’attente. Ici, tous les personnages s’attendant à quelque chose, à ce petit rien qui pourrait faire revenir la vie, la lumière alors que tout le décor est plongé dans une lumière blafarde, éclairé par de pauvres lampes. Le cinéaste le souligne : « Les personnages attendent en effet que quelque chose se passe, mais en même temps ils espèrent qu’il n’arrive rien de mal. Comme on le dit dans le film, le bonheur est qu’il ne se passe rien du tout. C’est vrai que dans mes films il semble qu’il n’arrive rien et pourtant des choses importantes s’y passent ! Comment peut-on expliquer la vie ? La vie n’a pas d’explication, elle se déroule. » Le tout est fait dans une remarquable économie de mise en scène où les plans-séquences laissent le temps aux personnages d’exprimer leurs doutes, leur désarroi, leurs craintes.

La vie d’une famille qui lutte contre la pauvreté

Des personnages qui sont incarnés par des comédiens absolument remarquables. Michael Lonsdale en tête qui, une fois encore, sait insuffler une âme à Gebo, ce vieil homme écartelé entre l’amour pour son fils et son désir d’honnêteté. Il souligne : « Gebo est un homme qui a mené une vie très dure, qui est pris dans un travail éprouvant et qui souffre de voir sa femme attendre leur fils. Il ment pour apaiser son épouse, il invente des lettres d’un ami afin qu’elle reçoive des nouvelles de leur fils, il construit un monde d’illusion en somme. Et dès que le fils revient c’est la catastrophe. Le film est pathétique, c’est un vrai mélo. Mais Gebo lui-même n’est pas ambigu, il ment pour ne pas faire de peine à sa femme, il ne voit pas d’autre solution. Il est habité par le sens du devoir et par la morale, ce sont les valeurs de l’époque. Maintenant tout le monde triche et dissimule, on en est loin ! Oliveira a coupé la dernière partie de la pièce qui donnait une toute autre portée au sacrifice de mon personnage. En effet, dans la pièce Gebo revenait chez lui après avoir purgé sa peine de prison et il retrouvait son fils, qui avait gardé le magot, et ils allaient boire tous les deux. C’est une conclusion plus optimiste, sans doute, que celle du film mais je crois qu’Oliveira n’aime pas trop que les choses finissent bien. »

Face à lui, il y a toutes ces figures de femmes, femme, fille ou voisine qui apportent, chacune, une forme de respiration dans cet univers étouffant. Claudia Cardinale est splendide dans le rôle de cette mère-courage qui s’isole de la rumeur extérieure, vit cloîtrée et continue de rêver à un fils rêvé. Elle souligne : « Mon personnage est presque une ombre, c’est la seule qui ne sait pas ce qui s’est passé, et elle ne vit que pour revoir son fils. Et, bien sûr, la fin du film est un choc terrible quand son mari prétend que c’est lui qui a volé l’argent pour sauver leur fils. Doroteia reste bouche bée, stupéfaite devant ce geste incroyable. On peut dire que c’est une femme qui vit dans l’illusion totale. »

Jouant sur les regards, les silences, Manoel de Oliveira livre ici une variation profonde sur la vie, la révolte et le prix de la liberté… C’est sobre, épuré et fort.

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