Même s’il est reçu premier au concours de l’IDHEC, la grande école de cinéma, ses débuts de cinéaste lui valurent tout de suite des soucis avec la censure. Après avoir été documentaliste pour Yves Ciampi, Jean-Pierre Melville, Vittorio de Sica et un certain Stanley Kubrick, il dut jeter l’éponge avec son premier scénario sur Pierre Loutrel, dit « Pierrot le Fou », patron du gang des tractions avant et homme de main de la Gestapo durant la Seconde Guerre mondiale. Devant les risques d’interdiction, un comité de pré-censure prévient de risques et le producteur arrêta les frais.
Dès son premier long métrage, tourné en Turquie, un polar, Les Jardins du diable, devenu Coplan sauve sa peau (1968), il écope, après un tournage homérique, d’une interdiction au moins de 16 ans. Régulièrement, le cinéaste va avoir à batailler contre les autorités, tant ses histoires touchent là où ça fait mal. Avec Un condé, en 1970, porté par un Michel Bouquet brillant, une réplique – « tous les flics sont des ordures »– pousse le ministre de l’Intérieur d’alors, Raymond Marcellin a défendre l’honneur de la police et à exiger plusieurs coupes.
Cela n’empêchera pas Yves Boisset à s’attaquer encore à certaines pages honteuses de notre histoire : transposition de l’affaire Ben Barka dans L’Attentat (1972); la sale guerre d’Algérie en 1973 avec RAS – interdiction fut faite de tourner à Alger et des bobines disparurent, notamment celles sur la torture-; le racisme ordinaire avec Dupont Lajoie (0urs d’argent à Berlin en 1975); relations troubles entre milieux d’affaires, pègre et certains politiques avec Le Juge Fayard dit « Le Shériff. Là encore, le pouvoir veille et exige la suppression de toutes les allusions au SAC (le fameux Service d’action civique, regroupant certains fidèles gaullistes), qui sera dissout quelques temps après. Boisset s’en tire en pratiquant des trous dans la bande sonore et raye l’image quand le mot SAC apparaît. Durant les séquences, prévenu de l’interdiction, le public lance « SAC assassins » quand surgissent les « bip » et les rayures…
Fatigué de devoir toujours lutter avec les autorités, victime d’une forme de censure fiscale, Boisset a aussi œuvré dans le polar pure comme Espion, lève-toi; Canicule ou encore Bleu comme l’enfer et il a, ensuite, délaissé le cinéma en 1991 pour la télévision où il signa des téléfilms comme L’Affaire Seznec, en 1993; L’Affaire Dreyfus, en 1995 et Le Pantalon, en 1997, sur les fusillés pour l’exemple de la guerre 14-18. Ce fin connaisseur du 7e Art, solide directeur d’acteurs, avait aussi participé, en 1970, à la première édition de 30 ans de cinéma américain, de Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon.
Regardant dans le rétro, il notait dans ses Mémoires : « En y regardant bien, de Dupont Lajoie à L’Affaire Salengro, le sujet de la plupart de mes films tourne autour de la bêtise et d’une de ses manifestations les plus populaires en France, à savoir la délation. »
Avec Yves Boisset, le cinéma perd une voix forte et une manière de défendre un cinéma qui ose s’attaquer à des sujets douloureux et qui suscitent la polémique.
