On ne peut être que bluffé par la composition de Tahar Rahim qui habite son personnage, sans pour autant le plagier platement. Le comédien a suivi des cours de piano, de gestuelle et de chant et il chante aussi à l’écran, même si des chansons originales de Charles Aznavour sont utilisées dans le long métrage, sans parler des images d’archives de la partie finale. Intonation, posture : Rahim fait une composition éblouissante et parvient à refaire « vivre » Aznavour sur scène comme la vie de tous les jours de manière vibrante, y compris dans sa manière de parler.
Mehdi Idir et Grand Corps Malade ont eu aussi la main heureuse avec Marie-Julia Baup qui incarne une Edith Piaf plus vraie que nature, toute en gouaille et qui règne sur sa petite bande en tyran. Et le résultat est bien plus probant que celui d’une Marion Cotillard. Quand à Bastien Bouillon, il prête ses traits à l’ami des débuts, le séducteur et pianiste Pierre Roche qui formera un duo célèbre avec Aznavour et signera notamment l’ancêtre du rap : Le Feutre taupé.
Les réalisateurs ont eu les moyens pour signer un biopic fourni et, des images de la Libération de Paris aux séquences de spectacle, la mise en scène est soignée. Pour autant, elle n’est pas aussi audacieuse que la vie d’Aznavour, malgré quelques tentatives de plans en abimes pour les concerts notamment. Construit sur le principe, un brin scolaire, du carnet de textes (à l’image de la collection de carnets rouges qui occupent son bureau), le film est parfois très allusif (sur les relations de la famille très à gauche avec la bande à Manouchian) et il survole les débuts de la carrière cinématographique d’Aznavour qui a pourtant aussi marqué le grand écran de son jeu en une cinquantaine de films et aurait mérité une évocation plus précises, quitte à couper ailleurs.
In fine, ce biopic est propre, fidèle dans ses choix à la vie de ce travailleur infatigable et qui n’a cessé de polir son art pour trouver son style, quitte à oser même s’affranchir d’Edith Piaf. Pour autant, il lui manque une étincelle pour vraiment nous être captivé par la vie de l’homme qui « s’voyait déjà en haut de l’affiche« . En fait, le seul moment vraiment émouvant du biopic est le moment où, dans une boîte gay, au côté de son secrétaire, Aznavour a l’inspiration de Comme ils disent, une chanson à la première personne qui joua beaucoup pour la défense des homosexuels et qui prouve que, sur le plan social, l’artiste avait une singulière sensibilité.
