Frontières de la honte

Une vision nuancée d’une situation complexe. Si l’on montre souvent de manière binaire la situation, Agnieska Holland prend le parti de la nuance, en montrant aussi des Polonais qui apportent leur soutien aux migrants malgré les risques encourues, les intimidations, tout comme certains militaires qui ne font pas de zèle, écœurés par les discours patriotiques et nationalistes de leurs chefs. Et, entre les migrants, même si le passage est très dangereux, voire mortel – 30 000 personnes sont mortes depuis 2015 en tentant l’aventure – il y a des élans de solidarité et d’aide, y compris dans les situations les plus tragiques.

Une mise en scène splendide. Servie par des acteurs, venant de plusieurs pays, qui jouent tous avec une grande justesse, la réalisation en noir et blanc donne un côté classique, presque austère, à cette dramatique odyssée et saisit les visages, les membres fatigués en gros plan pour rendre compte de l’épuisement de ces migrants qui croient toucher à la terre promise avant de déchanter, à la manière d’un reportage sur ce voyage au bout de l’enfer. De bout en bout, la photographie de Tomasz Naumiuk est remarquable et confère à l’ensemble une grande force visuelle.

À quelques mois des européennes où les nationalismes les plus rétrogrades vont rivaliser de démagogie, alors même que, par exemple, la Pologne a pu, sans crise, absorber deux millions de réfugiés ukrainiens, ce film s’affirme comme une parole cinématographique forte… Et Agnieska Holland de conclure : « Depuis quelque temps, je me surprends souvent à penser aux paroles de Wyspianski (NDLR : un artiste total polonais mort en 1907) : « Partout où nous le pouvons, nous devons prendre le contrôle, étant donné que tant de gens renoncent au contrôle sur tant de choses qui se passent. » Prix spécial du Jury à la dernière Mostra de Venise, ce film doit être absolument vu.

Laisser un commentaire