PATRIMOINE
S’il est un cinéaste qui a marqué le cinéma d’effroi c’est Georges Franju. Ses Yeux sans visages (1958) reste un modèle inégalé.
Les Yeux sans visage fait partie de ces films que l’on redécouvre à chaque visionnage. L’histoire est tranchante comme un coup de scalpel. Le chirurgien Genessier souhaite remodeler le visage de sa fille Christiane, rendue méconnaissable suite à un accident de voiture, mais pour cela il doit effectuer des greffes de peau qu’il aura prélevée sur des jeunes filles…
À une époque où le cinéma d’épouvante se cantonne trop souvent à une violence au premier degré avec des litres de sang et une musique assourdissante, la manière de filmer d’un Franju peut sembler anachronique tant le cinéaste fait frisonner dans la nuance. Montrer n’est pas faire peur, telle pourrait être la devise d’un réalisateur passé maître en l’art de suggérer. Comme Hitchcock dans Psychose, Franju sait ménager ses effets et faire naître l’effroi par un regard, un geste, un jeu de lumière.
Tiré du roman d’un certain Jean Redon, publié au Fleuve noir – et dont on a pu dire que c’était un pseudonyme de Frédéric Dard -, adapté par le duo de romanciers Bolleau-Narcejac, ce film est un modèle du film d’angoisse, tant il parvient à faire imaginer au spectateur les pires horreurs, tant une simple scène d’opération peut provoquer un profond malaise. Le tout accompagné par la musique discrète de Maurice Jarre.
Tirant ce film vers l’univers gothique de l’Expressionnisme, Franju plonge le spectateur dans un vrai
cauchemar porté par la voix de basse d’un acteur de la trempe de Pierre Brasseur, capable de faire passer toutes les émotions sur son vissage de praticien dévoré par les remords et l’alcool. Des retrouvailles entre le cinéaste et le comédien qui avaient déjà tourné La Tête contre les murs dans lequel Brasseur incarnait l’inquiétant directeur d’un asile psychiatrique.
Face à lui, la diaphane Edith Scob n’a pas besoin de mots pour incarner toute la faiblesse du monde et la soumission d’une fille à un père, devenu, par ses névroses, un chirurgien délirant. Coupée au montage, un scène montre bien la manière de travailler du cinéaste. On y voyait la jeune femme, filmée de dos (tout est dans la suggestion) retirer son masque, fuir la clinique parternelle pour errer dans la rue. Il fallait voir l’expression du visage d’un chauffeur qui la croise pour mesurer l’horreur provoquée par ce visage mutilé du personnage d’Edith Scob. Du grand art !
