En retraçant à sa manière, le destin de deux héros du rock russe des années 1980, le cinéaste russe Kirill Serebrennikov signe avec Leto, sur les écrans le 5 décembre, la chronique d’une époque éclectique où des jeunes tentent de vivre librement.
Leto (« L’Été » en russe) nous replonge dans la Perestroïka quand un souffle de liberté balaya l’ex-URSS. L’histoire se déroule à Léningrad, un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.
Leto retrace l’ascension de jeunes artistes de la scène rock dont Victor Tsoï – qui s’est tué en voiture à l’âge de 28 ans – et Mika Naumenko, fondateur du groupe Zoopark (mort, lui, à 36 ans dans des circonstances restées troubles), en mêlant des images où un narrateur imagine ce qu’aurait donné de tels concerts s’ils n’avaient pas été tenus à l’œil par les autorités et une histoire d’amour façon Jules et Jim, entre les deux rockers et Natacha.
« Leto est une histoire de rock’n’roll […] dans un climat totalement hostile à la musique rock et aux influences occidentales […]. Notre histoire traite de la foi nécessaire pour surmonter ce contexte, et de l’insouciance de nos héros face aux restrictions dont ils ont hérité. Par-dessus tout, cette histoire est celle d’un amour ingénu et inaltéré, comme une ode à ceux qui vont devenir des icônes du rock, à la façon dont ils vivaient et à l’air qu’ils respiraient » soulignait Kirill Serebrennikov qui fut arrêté le 23 août 2017 sur le plateau de tournage du film alors qu’il terminait les dernières séquences. Accusé de détournements de fonds publics, le cinéaste n’a pu être présent à Cannes où l’équipe du film a monté les marches avec une grande pancarte portant son nom.
En racontant le parcours de ces artistes, en optant pour le noir et blanc – « la seule manière de raconter l’histoire de cette génération, puisque la notion de couleur n’est apparue que plus tard dans l’inconscient collectif russe » – Kirill Serebrennikov a tenu à célébrer ceux qui bravent les interdits et rêvent avant tout de liberté. Symboliquement, il ne raconte pas la fin tragique de ces deux musiciens ce qui renforce encore la manière de focaliser l’histoire sur leurs combats pour la liberté d’expression.
Pour créer une vraie atmosphère dans ce biopic, il fallait veiller tout particulièrement à la musique originale (*) : interprétées par la Zveri group, les chansons originales de Viktor Tsoï et Zoopark témoignent d’une génération pour laquelle faire de la musique était leur moteur
principal pour survivre dans un pays soumis encore à bien des interdits. Les producteurs musicaux du film, Roman Zver, l’acteur du film, et German Osipov, soulignent : « Nous avions besoin de jouer de manière authentique et d’être attentifs au son qu’avaient les chansons dans les années 80, mais aussi aux conditions selon lesquelles les musiciens vivaient à l’époque, à leur matériel et à leurs performances. »
La BO de Leto propose, outre des chansons de ces rockers russes, des reprises de
classiques de Talking Heads, Lou Reed ou encore Iggy Pop (comme le magnifique Passenger) par leZveri Group, ainsi que des titres originaux du Velvet Underground, de T. Rex. La bande son d’une époque où la jeunesse russe rêvait de liberté.
Elle fait résonance à l’époque actuelle où Kirill Serebrennikov est toujours contraint au silence par le pouvoir russe. Sur le tournage, il déclarait de manière prémonitoire : « Malgré notre environnement lourdement politisé, nous créons un théâtre moderne, anti-officiel, qui peut aussi être perçu comme un mouvement…. » Raison de plus pour soutenir ce cinéaste en courant voir son film !
(*) Disque Milan Music

