Francis Renaud a souvent incarné des personnages en rupture, blessés. Dans La Rage au cœur (*), il signe une autobiographie sans concessions et décrit les lignes brisées de sa vie d’artiste en faisant preuve d’une étonnante franchise.
Souvent les autobiographies prennent quelques arrangements avec leur parcours, adoucissent les contours, glissent parfois la poussière sous le tapis. Avec La Rage au cœur, Francis Renaud a pris le parti d’une franchise certaine et il décrit son parcours sans enjoliver (loin de là) et ne donne pas de la vie d’artiste l’image chère à une certaine presse people.
D’une enfance vosgienne triste, marquée par la mort prématurée d’un père -dont l’absence hante les pages de cette autobiographie-, un beau-père brutal, à la vie – si fragile – d’un comédien dans ce Paris qui le fascine et qu’il arpente de jour comme de nuit, Francis Renaud raconte un parcours atypique et trente ans d’une carrière qui connut des hauts et pas mal de bas. Tout apprenti artiste devrait lire ce livre pour se débarrasser de ses illusions, tant le comédien montre qu’il faut avoir les épaules carrés pour survivre dans un univers où les chausse-trappes sont nombreuses et les cabales une manière de vivre. Il décrit ainsi ce parcours du combattant : « J’écume toutes les maisons de production en y laissant un jeu de photos et un curriculum vitae que je rédige en copiant celui d’Éric. On s’entraide comme on peut. Nous ne sommes pas des fils à papa. Les portes pour nous sont bien verrouillées. On n’accède pas si facilement à ses rêves. Ils s’effondrent bien souvent, comme nos illusions. »
Racontant aussi bien ses années heureuses, marquées par certains succès comme 36, quai des Orfèvres, signé Olivier Marchal, l’ami qui préface le livre, ou encore Les Lyonnais, Francis Renaud évoque aussi les heures sombres marquées par bien des dérives dans ce métier où il s’est un peu brûlé les ailes : de la drogue à l’alcool, en passant par certains accès de violence… Sans ambages, il reconnaît : « Je me suis calmé depuis, mais j’adore la bagarre, le face-à-face, le contact, la rue. »
On sent à chaque page que le comédien – et peintre – a tenté d’exorciser les démons de l’enfance, d’oublier la mort si présente dans sa vie, en se jetant à corps perdu dans la vie d’artiste. Ainsi, il explique évoquant son adolescence : « Je vais prendre des coups. Je me rassure en me disant qu’il y
a pire. J’encaisse. Je dessine pour exorciser, c’est une fenêtre ouverte sur la liberté. Je voyage ainsi loin du mépris qui m’entoure. Un peu de couleurs et je m’évade quelques heures avec mes crayons. »
Ce qui est plus étonnant dans ces souvenirs, c’est de voir comment Francis Renaud ne fait pas dans la langue de bois et épingle des stars du cinéma. Ainsi quand il décrit l’attitude de Vincent Cassel, ce jour de 1996, où Francis Renaud reçoit le prix Michel-Simon. Citations : « Devant moi, Vincent Cassel se lève, se retourne et me regarde comme une sombre merde. Il entraîne avec lui toute la rangée qui lui obéit, quel pouvoir ! Il ne l’a pas eu pour La Haine, la haine les emporte, lui et les autres. On se retrouve peu nombreux avec Peter Falk et Bernadette Lafont, qui deviendra une amie. »
S’il a des mots élogieux, voire fraternels, pour bien d’autres partenaires de jeu – de Guillaume Canet à Olivier Gourmet en passant par Daniel Auteuil – il peut, revenant sur le tournage de 36, brocarder l’attitude d’un Gérard Depardieu qui lit les dialogues accrochés à la veste d’André Dussollier lui donnant la réplique. Et, à la pause il s’autorise alors à lancer à Depardieu : « Tu as fait un jour un film avec le plus grand des acteurs français dans Les Valseuses. C’est bien triste que Patrick Dewaere ne soit plus là ! Il aurait appris son texte, lui ! »
Autobiographie cash, La Rage au cœur touche par cette franchise, la manière de dénoncer certains faussaires du métier qui s’agitent dans l’ombre, font et défont des carrières. Elle touche aussi par la manière qu’a Francis Renaud de se mettre à nu -il avoue ainsi comment le trac le dévore quand il fait du théâtre- de montrer les blessures profondes qui provoquent des séismes dans sa vie privée. Le mot provisoire de la fin à Olivier Marchal qui écrit : « Trop de gueule. Trop de fureur. Trop de talent. Il appartient à cette catégorie d’acteurs qui n’ont pas la carte. »
(*) Ed. Hugo : Doc
1994 – Pigalle
2004 – 36, Quai des orfèvres
2000 – Marie, Nonna, la Vierge et moi
