FROST, de Sharuna Bartas – 2h00
Avec Mantas Janciauskas, Lyja Maknaviciute , Andrzej Chyra , Vanessa Paradis
Sortie : mercredi 28 mars 2018
Mon avis : 4 sur 5
Le pitch ?
Rokas et Inga, un couple de jeunes lituaniens, se portent volontaires pour conduire un van d’aide humanitaire en Ukraine. Alors que leurs plans changent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils traversent les vastes terres enneigées de la région de Donbass à la recherche d’alliés et d’abris, dérivant entre les vies de ceux touchés par la guerre. En dépit du danger, ils s’approchent de la ligne de front et se lient de plus en plus l’un à l’autre, appréhendant peu à peu la vie en temps de guerre.
C’est un film de guerre sans guerre directe ou, du moins, sans les images classiques de conflit. Elle se « résume » à des plans de constructions atteintes par les impacts, par des zones de contrôles, et par, au gré d’une séquence, des plans de blindés qui convergent vers un point sur des routes boueuses. C’est là, une des trouvailles de Sharuna Bartas dans ce long voyage de deux humanitaires qui apportent dans un van du matériel en Ukraine : dire sans montrer, suggérer sans insister lourdement sur le lent travail de sape de ce conflit pour l’Indépendance. Il souligne : « Le film a lieu pendant la guerre, mais l’action militaire est presque absente de son contenu. Nous voyons ce que la guerre laisse derrière elle, ce qui l’entoure, ce qui reste en marge de celle-ci: les colonies abandonnées, ruinées et les villes, les personnes âgées et les enfants, ceux qui n’ont pas d’endroit où aller ou ceux qui ne veulent simplement plus se retirer.«
Dans ce road-movie dans des paysages enneigés et progressivement atteint par le conflit, Sharuna
Bartas montre la guerre indirectement à travers le prisme de ce jeune couple qui découvre, au fil des jours, comment les lignes de front bougent, comment le conflit s’est enkysté dans le paysage. Le tournage a d’ailleurs pris des allures d’expédition : « À partir du moment où on est partis de Vilnius, nous avons roulé et filmé pendant trois mois, sans jamais revenir à la maison. Nous avons parcouru environ 13 000 km, avec un convoi de 30 personnes dans 10 voitures – une équipe cosmopolite, avec des personnes de quatre nationalités, Lituaniens, Ukrainiens, Polonais et Français (…) On tournait parfois très près de la ligne de front, un jour on s’est fait tirer dessus à la mitrailleuse. Tout le monde s’est jeté au sol. Au bout d’un moment, nous nous sommes relevés, et en face ils ont recommencé à tirer. Il faut comprendre que les lignes de fronts sont parfois très proches, 20 ou 30 mètres. Certains jours, c’était véritablement dangereux. »
Avec le beau travail sur la photographie de Eitvydas Doskus, le film évoque donc la guerre par les chemins de traverse, ménageant sur la longue route qui conduit le jeune couple (très bien interprété par Mantas Janciauskas, Lyja Maknaviciute) de Vilnius aux terrains de combat d’Ukraine. Il y a notamment les séquences inattendues dans l’hôtel où se retrouvent journalistes, et humanitaires qui devisent une bonne partie de la nuit en picolant. Et cela donne un étrange dialogue sur l’amour perdu entre les personnages campés par Mantas Janciauskas et Vanessa Paradis, qui fait une belle apparition dans ce récit d’une errance dramatique.
En suivant la longue marche de Rokas, comme aiguillonné par la curiosité de mieux voir ce qu’est un conflit aux lignes de front si floues, Sharuna Bartas signe ici une évocation singulière des guerres modernes et souvent oubliées.


