LIRE : Charlot, voyageur du monde

C’est un petit livre qui évoque une parenthèse dans la carrière de Chaplin, mais quelle parenthèse : son Tour du monde des années 30. On y découvre les émotions d’un homme qui se cherche et ne masque aucune de ses émotions.

Nous sommes en février 1931 et Charlie Chaplin connaît quelques problèmes personnels. Relayés par la presse six ans auparavant, les accusations de son épouse, Lita Grey accusant Chaplin d’infidélité, de violence et d’entretenir des « désirs sexuels pervers  » ont ébranlé l’artiste même s’il a obtenu gain de cause. Ensuite, alors qu’il va présenter Les Lumières de la ville dans son Angleterre natale, Chaplin n’a pas encore pris le virage du parlant qui va révolutionner l’industrie cinématographique et il a continué à travailler son cinéma muet et de mettre la dernière main aux Lumières de la ville, ce qui ne l’empêche pas d’être anxieux. C’est donc un homme et un artiste quadragénaire en plein doute qui largue les amarres et qui se raconte dans Mon tour du monde.

Il revient dès le début du texte sur son dernier film et écrit : « Je suis très soulagé le jour où j’achève mon film, « Les Lumières de la ville ». Après deux années environ de tracas et de turbulences, son aboutissement est comme la fin d’un marathon. »

Tout au long de ce journal de voyage, et malgré l’accueil enthousiaste du public, on est étonné de voir à quel point un artiste de la trempe de Chaplin doute en permanence de son art, se demande quel accueil le public va offrir à son nouveau film. Complexe, il avoue aussi sa perplexité devant la notoriété. Il écrit : « Des milliers de personnes attendaient dans les gares : je faisais alors une apparition sur la plateforme de mon wagon. Au début, c’était un plaisir, cela devint un devoir, puis finit pas être une corvée. J’avais certes aspiré au succès et à la célébrité, mais n’étais pas préparé à les accueillir à une telle échelle ; par ailleurs, leur soudaineté m’affolait. »

Et puis, le plus intéressant dans ce récit, c’est de voir comment Chaplin garde une formidable curiosité pour les voyages et les rencontres. Cela donne quelques savoureux portraits de politiques comme Churchill, Gandhi ou Albert Einstein. Parlant de Gandhi, Charlot évoque sa réponse quand il s’étonne de le voir être opposé aux machines : « Les désirs de mon peuple étant modestes, ses exigences peu nombreuses, rien ne justifie donc que la complexité des machines occidentales entre dans sa vie. »

Et puis, il y a les pages émouvantes sur le retour de Charlot dans le Londres de sa jeunesse misérable. Avant de partir, il écrit : « Je veux saisir de nouveau un peu de la douleur et de la joie de cette époque. Je veux retrouver l’orphelinat où j’ai vécu deux longues années dès l’âge de cinq ans – oh, ces jours froids et lugubres passés dans la cour de récréation !  » Et, une fois sur place, il se montre ému par l’accueil des… clochards. Pris à partie par l’un d’eux, il est par exemple protégé par les autres. Et Chaplin de raconter : « Les égards auxquels j’ai alors droit sont touchants et flatteurs. Je ne suis pas un pigeon pour eux, mais un ami, ce qui m’émeut profondément. Les Cockneys sont des gens formidables. » Plus loin, c’est le salut muet d’un simple coup de chapeau d’un vieil homme touche l’artiste : « Son air radieux et la spontanéité avec laquelle il soulève son couvre-chef, voilà ce qui m’attendrit. »

Détail amusant : le Chaplin d’alors n’a pas l’air de beaucoup apprécier la Suisse, pays où il finira pourtant ses jours. « Je n’ai jamais été attiré par la Suisse, ayant une aversion pour les paysages montagneux – ils m’oppressent et me donnent l’impression d’être isolé du reste du monde. La présence menaçante des montagnes qui se dressent vers le ciel fait naître en moi un sentiment de futilité. Je suis un homme des plaines bordées par l’océan, je suppose, car mon instinct bohémien me dit que c’est là que je suis le mieux armé pour survivre, là où la vie s’ouvre sur un horizon plus vaste. »

Même si l’on croit connaître par le menu la vie de Chaplin, ce récit de voyage permet de comprendre un peu mieux la personnalité complexe de l’homme à la badine qui a encore bien des années devant lui pour ré-enchanter encore et encore le 7ème Art.

(*) Ed. Le Livre de poche

Quand Chaplin croisait Gandhi

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