Le Quartier du Corbeau et Amour 65
Les rétrospectives permettent de découvrir ou revoir des noms parfois oubliés du cinéma. Avec la sortie, le 25 mars, d’Amour 65 et surtout du Quartier du Corbeau, on s’aperçoit à quel point Bo Widerberg a marqué l’histoire du cinéma.
Sorti respectivement en 1963 et 1965, Le Quartier du Corbeau et Amour 65, deux films en noir et blanc, montrent deux facettes très différentes du talent de Bo Widerberg, cet enfant unique, né à Malmö, ville portuaire de la côte sud de la Suède et mort à 66 ans en mai 1997, après avoir réalisé une belle liste de films et signé quatre romans et deux recueils de nouvelles.
LE QUARTIER DU CORBEAU
avec Thommy Berggren, Christina Frambäck, Emy Storm
Je vote : 5 sur 5
Dans Le Quartier du Corbeau, le cinéaste retrouve sa ville natale pour y raconter le parcours d’Anders, un jeune prolétaire qui rêve de devenir écrivain en 1936 au moment des élections qui vont marquer la victoire du parti sociale-démocrate à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Avec une utilisation splendide du noir et blanc, le cinéaste nous plonge dans le quotidien d’une famille de prolos dont le père est un alcoolique aux allures de dandy défraîchi. Marqué par la Nouvelle Vague, Bo Widerberg se sert d’un environnement vrai et parfois familial – la radio vient du grenier de ses beaux-parents – pour signer cette tranche de vie prolétaire sur fond de montée du nazisme. Tout est filmé en décor réel et le cinéaste joue sur des contrastes très forts qui donnent encore plus de puissance aux séquences. Même l’acteur qui campe le père a poussé le jeu très loin. Très connu en Suède, il a dit au réalisateur : « Un alcoolique comme cet homme, on ne peut pas le jouer sans être ivre soi-même… » Il a donc poussé la conscience professionnelle jusqu’à apporter un petit sac avec une bouteille de vodka pour être saoul mais pas au point d’oublier son texte. Les autres comédiens – que ce soit pour le rôle de cette mère-courage, que celui du film – sont aussi tout à fait remarquables.
D’un réalisme saisissant, le film offre aussi quelques moments d’une grande poésie à l’image comme la séquence d’ouverture où l’on plonge dans l’immense cour, terrain de jeu des enfants et où l’on entend à la radio un discours d’Hitler. Bref, un très grand film.
AMOUR 65
avec Keve Hjelm, Eva-Britt Strandberg et Ann-Mari Gyllenspetz
Je vote : 4 sur 5
Sorti en 1965, ce film traite de la liberté en amour comme au cinéma à travers la description d’un cinéaste de renom qui est marié avec la belle Ann-Mari avec laquelle il a une fille, atteinte d’un fort strabisme, et qui peine à trouver son inspiration. La fête annuelle dans sa villa au bord de la mer avec ses amis agit comme un révélateur de cette crise conjugale. Influencé par Cassavetes aussi, le cinéaste y fait tourner l’acteur principal de Shadows, Ben Carruthers, dans son propre rôle.
Si certains procédés sont datés, notamment les citations de Godard ou Antonioni de certains personnages -le cinéaste signe là-encore une œuvre forte où la musique sert parfois de fil conducteur, notamment dans la belle séquence de la promenade. Et le jeu avec des cerfs-volants lancés en pleine vent permet au cinéaste de signer des plans d’une grande beauté. De même, utilise t-il le strabisme de la petite fille pour imaginer des plans originaux qui donnent un autre regard sur ce quotidien d’une famille qui vit une crise larvée. Là encore, l’utilisation du noir et blanc est d’une rare subtilité.



