UN ILLUSTRE INCONNU, de Matthieu Delaporte – 1h58
Avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Diego Le Martret, Eric Caravaca
Sortie : mercredi 19 novembre 2014
Je vote : 3 sur 5
Quezako ?
Sébastien Nicolas a toujours rêvé d’être quelqu’un d’autre. Mais il n’a jamais eu d’imagination. Alors il copie. Il observe, suit puis imite les gens qu’il rencontre. Il traverse leurs vies. Mais certains voyages sont sans retour.
2 raisons d’aller voir ce film ?
Une réflexion sur l’identité en forme de polar. A travers le parcours de cet homme ordinaire, aussi gris que le temps de Paris, Matthieu Delaporte signe des variations originales sur le problème identitaire. Car Sébastien Nicolas ne peut échapper à une solitude profonde qu’en s’appropriant l’identité d’autrui. Le réalisateur souligne : « Ce film a donc démarré par un questionnement sur la solitude : qu’est-ce que cela représente d’être soi face aux autres ? On est à l’heure actuelle ancrés dans une société de la solitude et du fantasme : on observe constamment la vie des autres, et on a de plus en plus de mal à distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Au fond, ce qui m’intéressait chez Sébastien Nicolas, le protagoniste interprété par Mathieu Kassovitz, c’est qu’on éprouve tous ses pulsions, ses envies et ses désirs, à des degrés divers bien entendu. » On est alors étonné de voir les deux auteurs – Matthieu et Alexandre de la Patellière – du Prénom, une comédie fort drôle, changer ainsi de registre et distiller une atmosphère oppressante en filmant du point de vue de Sébastien Nicolas et ce, après une séquence d’ouverture « explosive » qui contraste avec le calme apparent du reste du récit.
En collant aux basques de cet homme ordinaire, Matthieu Delaporte plonge le spectateur dans la vie d’un mec qui a tout du tueur en série, même s’il est incapable de faire le mal. Il y a chez lui aussi le complexe de l’écrivain, comme du cinéaste qui se nourrissent des autres pour créer leur personnage. « J’ai énormément lu sur les écrivains et leur goût du double, dit le cinéaste. Chez le protagoniste, il y a aussi la métaphore de l’acteur qui ne veut plus quitter son rôle parce qu’il ne se sent vivant que lorsqu’il campe un personnage. Ce qui m’intéresse dans ce phénomène d’usurpation, c’est qu’on est au coeur de la fiction : les individus souffrant de dépersonnalisation veulent que la fiction – leur « roman » ou leur « film » personnel – prenne le pas sur la réalité. »
Une composition impeccable de Mathieu Kassovitz. A quelques semaines d’intervalles après La Vie Sauvage, on mesure à quel point l’acteur-réalisateur peut se glisser avec un talent fou dans des personnages très différents. Il exprime avec une grande économie de gestes et d’expression toute la complexité intérieure d’un homme perdu, et même un peu lâche, même si la rencontre avec le violoniste virtuose, Montalte, va le conduire à finalement choisir, assumer ce qu’il est au plus profonde de lui.
De ce film étrange, de cette réflexion sur la solitude et les doubles, Mathieu Kassovitz dit : « Pour ma part, je dirais qu’il me fait penser aux «films de paria» qui soulèvent des problématiques comme : comment faire pour s’intégrer ? Comment la société réagit-elle face à une attitude insolite ? Mais je crois que l’essence de ce film-là est sa profonde singularité et que l’idée des auteurs était de proposer un objet sans forcément faire référence à d’autres. On n’a pas eu une approche
intellectuelle ou culturelle du sujet – on voulait seulement se concentrer sur le film seul. En revanche, pour moi, le film fait écho à Kafka. »
Face à lui, Marie-Josée Croze exprime bien le désarroi de l’ancienne amante abandonnée par Montalte avec leur fils et qui ne parvient toujours pas à « déchiffrer » cet être étrange. Elle souligne : « J’ai moi-même parfois un peu de mal avec la communication. Je me fie à l’instinct, à mon ressenti, et aux liens que j’ai noués. J’aimerais avoir un esprit plus carré. »
A travers cette fine étude psychologique d’un homme à la personnalité multiple, Matthieu Delaporte et son complice signent un opus prenant aux allures de thriller. Et dont le héros ne peut que mettre mal à l’aise…et qui dit « Si je n’ai pas existé, il a bien fallu que je vive. » En tout cas, un opus qui ne manque pas d’originalité.
