A LA RECHERCHE DE SAINT LAURENT

SAINT LAURENT, de Bertrand Bonello – 2h30

Avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Lea Seydoux, Louis Garrel,  Helmut Berger

Sortie : mercredi 24 septembre 2014

3 sur 5

446585Quezako ?

De 1967 à 1976, la rencontre de l’un des plus grands coururiers de tous les temps avec une décennie libre. Yves Saint Laurent révolutionne la mode, fait la fête, se drogue, vit des passions tumultueuses. Une vie en forme de tourbillon dont le couturier ni l’époque ne sortiront indemnes.

Et alors ?

Loin des querelles médiatiques et stériles qui ont opposé les deux biopics sur le grand couturier, on peut découvrir la vision de Bertrand Bonello, un cinéaste qui aime ausculter une époque, revenir sur un temps perdu pour retrouver les traces qu’il a 257128pourtant laissé dans son sillage. Quitte à vouloir stopper le temps comme le montre la séquence d’ouverture où, filmé de dos dans une réception d’hôtel de luxe, Saint Laurent lance au réceptionniste : « J’ai envie de dormir« . Comme si, pour survivre, la seule solution pour lui serait d’arrêter l’inexorable sablier. Laissant volontairement dans l’ombre la figure de Pierre Berger (Jérémie Renier), compagnon et mécène de l’artiste – dont il trace un portrait d’homme autoritaire et très présent pourtant – le cinéaste joue sur deux tableaux : la description proustienne d’un homme qui se penche sur son passé et la plongée étourdissante dans un monde de luxe et de beauté dont il filme avec gourmandise le moindre détail des robes et le ballet des petites mains qui s’agitent autour d’un maître enfermé 260097dans sa solitude créatrice. « J’étais surtout attiré par les possibilités de cinéma liées à ce côté fastueux et décadent qu’il était possible de mettre en avant grâce au filtre de la réalité. Inventer cela serait impossible ! J’avais envie de prolonger l’idée, présente dans « L’Apollonide » d’un enfermement magnifique qui se délite » confie le cinéaste.

Une des idées originales du film, c’est d’avoir campé  Saint Laurent à deux époques par deux comédiens différents  : le jeune créateur inspiré joué par Gaspard Ulliel, et le couturier malade qui cultive l’amour des chiens et aime à feuilleter les pages de « Voici », incarné par  Helmut Berger, figure du cinéma de Visconti, cinéaste lui-aussi fasciné par la fin des époques et par le luxe d’un temps révolu. Un vieil homme qui pose alors, par sa présence et ses interrogations, la question existentielle de ce qu’il restera, in fine, de la beauté, d’une œuvre, d’un empire…

Loin des lourdeurs d’un biopic classique, Bonello montre une réalité crue avec la plongée dans le monde de la nuit, avec le beau plan-séquence de la drague dans les rues de Paris où la descente dans les boîtes de nuit underground où les 311974protagonistes tentent d’oublier le cours inexorable du temps dans un monde superficiel. Montrant l’homme au quotidien, Bonello offre à Gaspard Ulliel l’occasion d’une métamorphose étonnante, tant il a fait un travail minutieux pour donner une interprétation crédible. Il souligne : « Dans l’ensemble, j’ai essayé d’échapper au mimétisme pour trouver mon propre rythme, ma propre musique. Pour notre première séance de travail, Bertrand m’avait envoyé des interviews disponibles sur les archives de l’INA. Il insistait sur la diction particulière de Saint Laurent, une grâce qui était, disait-il, de la fragilité sans être féminine. Quelque chose d’assez difficile à saisir et à reproduire. » On ne peut être que bluffé par sa performance.

Le reste du casting est à l’unisson avec Léa Seydoux qui joue Loulou de la Falaise, la confidente du maître et Jérémie Renier qui parvient à faire exister dans l’ombre un Pierre Berger autoritaire, capable de menacer un journaliste pour bloquer une interview,  et tentant de limiter les dérives de son compagnon. Enfin Louis Garrel incarne, avec une belle légèreté et une distance, Jacques de Bascher, l’amour impossible de Saint Laurent.  « Louis ne tire pas Jacques vers le glauque, ce qui serait possible avec un personnage aussi bizarre et décadent », tient à souligner Bertrand Bonello.

Malgré la longueur du film, notamment dans la description des coulisses d’un défilé au milieu des couturières et le ballet des petites mains,  ce portrait d’un homme fragile mais capable aussi d’avoir une insouciance juvénile. Et dont le cinéaste se plaît à rappeler cette phrase fameuse : « Je suis  à la fois fort et fragile, mais je ne serai jamais brisé. »

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