ALCESTE À BICYCLETTE, de Philippe Le Guay – 1h44
Avec Fabrice Luchini, Lambert Wilson, Maya Sansa
Mercredi 16 janvier 2013
Je vote : 3 sur 5
Acteur de télévision devenue star grâce à une série médicale, Gauthier Valence vient à l’Île de Ré pour retrouver Serge Tanneur, un grand comédien qui vit en ermite dans une maison familiale déglinguée. Gauthier lui propose de jouer Le Misanthrope, de Molière au théâtre, Serge étant devenu la parfaite incarnation d’Alceste. Après un premier refus, Serge hésite … et propose à Gauthier de répéter la grande scène de l’Acte A entre Philinte et Alceste. Au terme de cinq jours der répétition, il lui dira s’il est de l’aventure… Entre les deux comédiens commence alors un jeu de séduction, et de tensions, ponctué par la présence d’autres personnes qui vivent à Ré durant l’hiver : une italienne en pleine crise de couple, un agent immobilier bavard, un chauffeur de taxi dont la mère est malade…
Deux raisons d’aller voir ce film ?
La modernité de Molière. Il est de bon ton de parler du côté moderne de l’auteur de L’Avare. Philippe le Guay et Fabrice Luchini -co-scénariste du film- le prouve en faisant dire le dramaturge dans une atmosphère résolument moderne. Le duo formé par Luchini et Wilson promène le texte original dans d’improbables décors, et Luchini a plus des allures de Céline reclus à Meudon que celles d’un fringant pensionnaire de la Comédie-Française.
C’est en préparant le tournage de Les Femmes du 6ème étage que Philippe Le Guay a eu l’idée de l’histoire après avoir apporté le scénario de son film en main propre à Luchini sur l’Île de Ré. Arrivé sur l’île, il s’égare dans les marais. Il raconte : « Il vient à mon secours, à vélo lui aussi. Nous prenons des chemins de traverse et je lui dis : « Tu es vraiment le misanthrope, cloîtré au fond de son ermitage ! Et il se met aussitôt à me réciter le début du « Misanthrope », de Molière…(…) Il joue à la perfection les deux rôles, celui d’Alceste et celui de Philinte -il connaît quasiment
toute la pièce par cœur. Et là, d’un seul coup, je vois un film et le titre s’impose à moi : « Alceste à bicylcette ». L’histoire d’un acteur reclus sur l’ïle de Ré. »
En filmant cette répétition improvisée entre deux monstres dans leur genre, Philippe Le Guay redonne toute son actualité à cette pièce : Alceste incarne le refus de la médiocrité, l’ironie face à la mode du paraître, la cruauté du métier d’acteur. Par l’intermède de Luchini, ce personnage d’ermite à la Léautaud (les animaux en moins) donne une vraie épaisseur au personnage de Serge Tanneur. Le seul moment où il tombe ses oripeaux d’homme moderne, c’est quand il se rend en vélo au cocktail costumé en Alceste, et ayant rasé sa barbe de trois jours. Mais, ce jeu des apparences est de courte durée et la violence tamisée des relations humaines reprend vite le dessus.
Une galerie de portrait. Même si son personnage commence à être -trop bien- rodé par ses innombrables passages à la télévision, Luchini campe un Alceste parfait face à Lambert Wilson qui déroule une autre partition, toute aussi solide. Lambert Wilson qui déclare : « Je craignais qu’il ne passe de moi qu’une bouchée. Il s’est établie une certaine connivence entre nous qui est passée par un abandon de ma part : je ne me suis pas protégé. J’étais dans une forme d’honnêteté. » Opposant deux hommes qui ont du métier une conception radicalement opposée – l’un pointilleux jusqu’à la diérèse, l’autre plus « moderne », le cinéaste n’échappe pas toujours à un certain maniérisme dans les séquences de répétition. Il prend de l’ampleur quand le
réalisateur dépeint les méandres de cette amitié propice aux coups bas et que sa caméra sort de la maison bordélique. On sent alors à quel point ces deux comédiens vivent, chacun à leur manière, dans une bulle : l’un incapable de se décider pour savoir s’il faut changer les évacuations de sa maison; l’autre incapable de faire fonctionner un jacuzzi. Tous les deux se retrouvant comme deux adolescents pubères devant la belle italienne qui vit mal une séparation. Une sorte de Célimène moderne, joliment campée par Maya Sansa.
Bref, une jolie comédie marquée par le désenchantement sous le signe de la langue de Molière avec quelques moments insolites dans une mise en scène au demeurant très classique et qui manque parfois de rythme.

